Thanksgiving au Chateau de Courtomer 🌽
« Bon. Je peux vous donner une dinde maintenant… mais…maintenant ? »
Madame Claude fit une pause, un couteau à la main, quelques gouttes de sang écarlates ruisselant sur son tablier blanc. Ses sourcils noirs arqués par la surprise. J'étais venue chercher notre poulet de la semaine, une douzaine d'œufs et commander une dinde.
Nous nous trouvions dans l’atelier de Mme Claude, une grange sombre équipée d'une longue table de travail en bois. Des ampoules nues, entourées de toiles d'araignées, éclairaient la scène. Elles étaient suspendues à d’épaisses poutres en bois, courbées par l’âge. Madame Claude y avait accroché ses nombreux outils de travail. Des plumes recouvraient le sol en terre battue et des entonnoirs utilisés pour nourrir les oies s'entassaient sur une chaise annonçant ainsi la saison du foie gras.
A l’arrière, un grand réfrigérateur fredonnait ; l'unique objet autre que le manteau blanc de Mme Claude signe de modernité.
Madame Claude posa son couteau, inspecta l'intérieur de ce monstre et en sortit un paquet mou - une volaille maigre, faite maison, avec une tête peignée de rouge et des pieds jaune rugueux. Suivant ses instructions, je garde les pieds lorsque je fais rôtir l’oiseau, car « ils ajoutent de la saveur ». En effet, les poulets de Madame Claude sont toujours délicieux.
Un des délicieux volailles de Madame Claude.
Le mari de Mme Claude est éleveur de bovins et possède quelques champs de cultures et de foin. Madame Clause, quant à elle, a sa petite entreprise d'élevage de volailles. Les poulets et les pintades sont vendus toute l'année, tandis que les canards et les oies sont élevés pour les Fêtes, de la Toussaint jusqu'au début du carême. Durant les quarante jours qui précèdent Pâques, les gourmands ménagent leur foie et mangent du poisson le vendredi...quand ils n'oublient pas ! Afin que ses clients dégustent de la volaille toute l’année et du foie gras pour les Fêtes, Madame Claude prend son travail très au sérieux.
Une dinde? Madame Claude ne manqua pas de me rappeler que la dinde est un repas de Noël et du nouvel an. Et les dindes, soupira-t-elle, sont une vraie plaie et n'apportent que des soucis. Les poulets, eux, sont rusés et dotés d’un instinct de survie. Ils savent se protéger et trouver refuge dans un arbre si nécessaire. Les dindes sont des proies chétives et faciles pour les renards et les belettes qui les dérobent d'un coup si elles s'éloignent de leur abri. Est-ce qu'une dinde peut voler? Pff! Une maison saurait mieux faire. Une année, continua-t-elle en pinçant les lèvres, toutes mes dindes sont mortes… décimées par une bactérie.
« Et cette catastrophe », ajouta-t-elle, « est arrivée après avoir administré à chacune d'entre elle un grain de poivre dans le bec!». C'est une tache fastidieuse. Et une perte de temps. Pourtant cela peut s'avérer efficace, poursuivit-elle, la tête penchée sur le côté. Il s'agissait peut-être d'un nouveau type de microbe.
Elle s'arrêta un instant pour réfléchir peut-être à la possible malveillance des scientifiques Parisiens, contre les inventions desquelles la médecine traditionnelle est impuissante.
J'en profitais pour demander:Puis-je avoir une dinde pour le quatrième jeudi de novembre?
Ah! La Thanksgiving! Mais oui! A Thanksgiving, il est vrai que les Américains - généralement - ne respectent pas les règles de la gastronomie françaises en servant de la dinde hors saison. Mais ils se réunissent en famille autour d'un bon repas – un motif de célébration approuvé par la culture française.
Et donc, nous avons mangé notre dinde accompagnée d'une gelée de groseilles de notre jardin, de pain de maïs, de pommes de terre, de carottes et de betteraves locales, et une sauce faite en mélangeant le jus de la dinde et de la crème fraîche. Le repas a débuté avec une soupe au potiron, un classique de la gastronomie française, et terminé avec la tarte tatin, à base de pommes locales, spécialité de la Normandie. Ah ! la bonne chair… un festin digne de Thanksgiving!
Le feu crépitait doucement dans la cheminée. En cette fin de journée, les fenêtres de la salle à manger offraient une vue sur un ciel strié de rouge vif et rose doux, avant de changer en un bleu sombre et velouté alors que les derniers rayons du soleil faisaient place au crépuscule.
Et avec ce délicieux souvenir qui résonne dans nos mémoires et éveillent encore nos papilles, nous vous souhaitons un merveilleux Thanksgiving 2019 du Château de Courtomer.
A bientĂ´t,
P.S. Une leçon autour de l’histoire de la Thanksgiving...
Parmi les fêtes célébrées aux Etats-Unis, Thanksgiving est celle qui incite davantage les Américains à se retrouver en famille. Cette fête célèbre également l’union, certes fugace, de deux peuples. Chaque écolier américain le sait bien, lors du premier Thanksgiving, les « Indiens » et les « Pèlerins » ont partagé un repas, célébration de leur récolte commune. Les Amérindiens ont appris aux colons à cultiver la courge, la citrouille et le maïs et à chasser dans les bois. « Les Indiens » sont arrivés les bras chargés de viande de cerf et de fruits de leurs jardins. Les braves colons anglais, qui avaient à peine survécu aux rigueurs de leur première année dans le Nouveau Monde, compensaient par de la gratitude ce que leurs maigres lardiers manquaient en vivres.
Notre premier président, George Washington, a proclamé une journée de Remerciement (Thanksgiving) en novembre 1789, pour « l’opportunité d'établir dans la paix un gouvernement pour [notre] sécurité et [notre] bonheur. » À juste titre, Thanksgiving est devenu une fête nationale officielle vers la fin de la Guerre de sécession américaine. « La diversion nécessaire de richesse et de force », affirme la proclamation de 1863, « n’a pas arrêté la charrue, le métier à tisser ou le navire. » Mais elle a évoqué la vérité difficile des « troubles civiles lamentables », avec ses « veuves, orphelins, endeuillés ou souffrants » et a appelé tous les Américains à « implorer avec ferveur l'intervention de la Main Toute-Puissante pour guérir les blessures de la nation et lui permettre de jouir pleinement de la paix, de l’harmonie, de la tranquillité et de l'Union. » Intentions honorables, même si elles rencontrent un succès variable.
Encore aujourd’hui, Thanksgiving célèbre l’abondance de la nature et la fraternité des hommes.